En selle ...

Comme un cheval au galop, il a traversé la piste et bondi jusqu’à moi pour m’inviter à danser avec lui. C’était un beau spécimen, un de ces purs sangs arabes au front large et plat avec deux petites oreilles joliment dessinées sous une magnifique crinière réglisse soyeuse et ondulée. De grands yeux noirs veloutés sur lesquels papillonnaient des paupières ourlées de cils bruns interminables avec des naseaux grands ouverts et palpitants. Avec son port de tête haut et fière, il avait l’air d’un jeune étalon tout droit sorti des pages en papier glacé d’un magazine people pour ado ou d’une revue équestre pour petites filles : sabots impeccables, encolure bien dessinée, poitrail puissant, poil fraîchement lustré, crinière adroitement coiffée, jarrets musclées et croupe délicieusement rebondie. Il ne lui manquait qu’une paire d’ailes pour me faire directement grimper au ciel. C’est simple, j’ai eu envie de le chevaucher à la seconde où il est apparu devant moi et si je l’avais croisé dans un magazine, j’aurais certainement bouffé les pages.

Bref, même si j'ai toujours détesté l'équitation, je me suis dit qu’il ferait une très belle monture, s’il me choisissait comme cavalière. Grâce à mon grand-père, pour la première fois et surtout la dernière, je suis montée sur un cheval à l'âge de 8 ans et j'en suis redescendu en pleurant. Après avoir arpenté toute la journée les petits sentiers parfumés des Alpilles sauvages avec ses ravins qui tombent à pic sur le dos d'un grand canasson qui n’arrêtait pas de se cabrer au moindre obstacle, je n'ai plus jamais eu envie de me remettre en selle, jusqu'à ce que je croise ce bel étalon.

" Prince du désert ", allias " Pégase " ou Rachid de son vrai prénom, (tout de suite, ça fait beaucoup moins cheval de course et plus dromadaire ou canasson destiné à l’abattoir pour terminer en saucisson halal) m’a promené sur la piste de danse pendant près de deux heures et baladé presque 20 ans entre désillusions, mensonges, humiliations et violences. Je me souviens que ce soir-là, entre deux slows et quelques bulles de champagne, il a murmuré à mon oreille insouciante de jeune pouliche, des mots bordés de roses au parfum envoûtant qui depuis ont laissés derrière eux un sillon bien amer. Des pétales, par centaine, semblaient s’envoler de sa bouche au grès de ses murmures flatteurs, sans doute pour mieux cacher un paquet d’épines et ses yeux, il les posait sur moi avec la légèreté de deux papillons suspendus à une fleur gorgée de nectar. Et moi, comme une petite fleur paumée au milieu des champs, je me suis laissée bêtement butinée. Quelle jeune petite bucolique naïve je faisais !

Je ne sais pas pourquoi, mais je l’imaginais bien pompier. En réalité, il est pompiste dans une station-service. Ça sonne presque pareil sauf que l’atout séduction n’est franchement pas le même qu’un gars avec un casque doré manœuvrant une grosse lance à incendie au péril de sa vie mais bon, quand on pense à la dextérité avec laquelle un pompiste introduit son pistolet dans ton réservoir sans mettre une goutte à côté, alors que toi tu asperges régulièrement tes escarpins d’essence, bah çà laisse songeuse et puis surtout ça donne envie d’aller faire le plein.